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DARGAUD
C’est par Dargaud et par Pilote que j’ai fait mon entrée en bande dessinée alors que, le moins qu’on puisse dire, c’est que je n’étais pas très fortiche à l’époque. J’en suis très reconnaissant à cette maison qui m’a fait confiance, puisque j’y ai finalement joui d’une liberté de plume extraordinaire depuis exactement quarante ans. J’y ai aussi bénéficié d’une protection amicale, je dirais presque familiale, qui a pu prendre des visages divers au fil des années mais qui ne s’est jamais démentie, ce qui se fait rare dans la vie professionnelle actuelle. Avec un mauvais passage qu’il ne faut pas oublier, évidemment, tant il est significatif de ce qui menace l’équilibre toujours précaire des métiers de création. Le pénible épisode ayant suivi la prise de Dargaud par le groupe Ampère s’est surtout caractérisé — comme tous les actes de censure — par le ridicule. Ainsi, pour m’en tenir à ce qui m’a concerné, il est évident que ce n’était pas Bilal ou Goetzinger qu’il fallait extrader, mais Mézières et Valérian. Je m’explique. Du point de vue des repreneurs — et pour autant que l’on puisse le connaître, leurs présupposés idéologiques n’ayant jamais été exposés urbi et orbi — l’anti-terrorisme des Phalanges et l’anti-soviétisme de Partie de Chasse, par exemple, auraient dû leur aller droit au cœur. En revanche, le côté athée voire franchement anti-clérical de Valérian (où la Sainte Trinité en prend quand même pour son grade) aurait dû leur hérisser le poil. Seulement voilà : il faut savoir lire des textes et déchiffrer des dessins pour voir cela. Le côté bon enfant de Valérian a fait illusion, l’humour parfois grinçant de mes autres albums a fait peur. Résultat : des tas de bambins ont continué à oublier leur catéchisme en reluquant Laureline. Avec l’arrivée de Claude de Saint Vincent à la direction, la leçon a été tirée. Dargaud est (re)devenu une maison exemplaire, sachant accueillir des auteurs provenant d’autres rivages, veillant à maintenir un climat de confiance interne, s’appuyant sur des cadres compétents et attentifs. Cet épisode — et d’autres plus récents — montrent cependant la fragilité de toute entreprise éditoriale, monde aisément inflammable.