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CABANES [MAX]
J’ai beaucoup d’admiration pour la virtuosité de Max, que j’apprécie particulièrement dans des registres qui ne sont pas nécessairement ceux de la BD. Les pastels qu’il a exécutés pour L’Homme qui fait le tour du monde sont de pures merveilles, les gouaches pour La bonne vie aussi. Quant à La boucle magique, un reportage dessiné qu’il a fait sur le Tour de France, l’une de nos passions de jeunesse communes, c’est une très belle chose sur le cyclisme pour laquelle j’ai été heureux de jouer les simples secrétaires d’édition.

 

CANAL CHOC
Après les remous engendrés chez Dargaud par l’arrivée du groupe Ampère [voir ci-dessous], nombre d’entre nous étaient passés aux Humanoïdes Associés, qui incarnaient alors — dans ce qui constituait pour eux aussi une seconde vie — une certaine attente novatrice. Dépourvus d’un journal susceptible de jouer un rôle fédérateur entre des générations et des individus venus d’horizons différents, les responsables éditoriaux avec lesquels je travaillais, José-Louis Bocquet en particulier, cherchaient un moyen de structurer cette maison. C’est alors que je leur ai proposé le concept de Canal Choc, en quatre volumes, avec trois dessinateurs débutants réunis en atelier sous l’autorité aussi débonnaire qu’incontestée de Jean-Claude. J’étais attaché à une formule d’atelier démocratiquement partagé que je trouvais novatrice : on m’accordera qu’elle a fait des petits ultérieurement avec beaucoup de réussite. J’étais aussi attaché à une certaine rapidité d’exécution que seul l’emploi de plusieurs dessinateurs peut permettre : encore une forme d’organisation qui connaîtra de beaux lendemains. J’étais enfin attaché à l’histoire dont j’avais écrit le scénario, dans la mesure où c’était la première fois, à ma connaissance, qu’une série de bande dessinée s’attaquait au problème de la représentation du réel à la télévision, sur une base très documentée mais faisant intervenir des entités fantasmatiques menaçantes dans le quotidien : ce qui, on me l’accordera encore, a largement essaimé depuis, quitte à verser dans la théorie du complot tous azimuts à trois balles… Le concept et le sujet étaient peut-être un peu en avance sur leur temps, ce qui est une grave erreur dans le domaine de la production artistique, d’autant plus que ça coûtait (assez) cher, que le rythme n’a pas (tout à fait) été tenu, que la qualité a (forcément) été un peu inégale et que les ventes n’ont pas (vraiment) été à la hauteur des attentes. Cette tentative avait cependant eu me semble-t-il le mérite de mettre le pied à l’étrier à Hugues Labiano, Philippe Chapelle et Philippe Aymond.

 

CASTERMAN
Lorsqu’une maison d’édition réédite très soigneusement tous vos anciens titres dont certains (comme L’Etoile oubliée de Laurie Bloom, qui devrait reparaître en 2007) étaient assez isolés chez des éditeurs généralistes, comment ne pas être content ? Et même très content puisque, après tout, les livres qui ont une deuxième vie grâce à une nouvelle équipe sont assez rares ? Pour ce qui est de savoir, puisque telle est votre question, si le scénariste est tributaire du dessinateur dans les mouvements éditoriaux, il est bien évident que les enjeux commerciaux ne sont pas les mêmes lorsqu’on accueille une star comme Enki (il y en a peu en BD) et un écrivain comme moi (il y en a plein partout). Mais de là à dire qu’il y aurait une sorte de règle de dépendance liée au statut de scénariste, je pense que c’est faux (voir plus bas).

 

CHARLIER [JEAN-MICHEL]
Dans son modeste bureau de Pilote, alors rue du Louvre, Charlier est le premier à m’avoir vraiment montré avec beaucoup de simplicité, une page de scénario, avec les descriptions d’image, les didascalies, les dialogues, l’emploi du ruban rouge de la machine à écrire pour certains textes. Je lui en suis éternellement reconnaissant. Cela dit, avant cette rencontre, j’avais assurément lu du Charlier, avec un faible pour son travail avec Jijé et, comme pour tant d’autres, son influence sur moi a été réelle. Même si, c’était de bonne guerre, je me suis efforcé d’écrire le CONTRAIRE de ce qu’il écrivait, tant au plan politique qu’au plan psychologique, tant dans les genres abordés que dans les messages envoyés. Mais cela ne change rien à la filiation…

 

CINÉMA
Ce que j’aime dans le cinéma, c’est tout le cinéma, c’est à dire l’endroit qui porte ce nom autant que ce qu’il projette. Entrer dans la salle, les fauteuils rouges, le noir qui se fait, le générique, le cérémonial… Les réalisateurs, les acteurs, les films, les scènes, les détails, les dialogues que j’aime, il faudrait tout cet abécédaire pour les évoquer. Donc, impossible... Simplement, pour donner quelques pistes, ceux par exemple qui nourrissent Agence Hardy : Jacques Becker, des Renoir, des Duvivier, certains Melville. Où alors ceux que j’ai aimés du temps de Partie de Chasse : Tarkovski, Skolimowski. Ou encore les auteurs de western (plus que de SF, d’ailleurs) que je partage avec Mézières. Ou encore… Ce serait décidément sans fin. Au plan professionnel, j’ai déjà dit l’essentiel de ce que j’avais à dire en évoquant Bunker Palace Hôtel, dans la mesure où il est toujours plus intéressant de s’appuyer sur un exemple concret plutôt que de remuer des généralités. Quelques précisions cependant : on compare trop souvent cinéma et bande dessinée. Ce sont, en dépit de parentés évidentes, des langages très différents pour diverses raisons qui font d’ailleurs que — à de rares exceptions près — les adaptations sont généralement vouées à l’échec. Deux paramètres, au moins, sont à l’œuvre : les dialogues destinés à être écrits dans une bulle obéissent à une économie qui n’est pas celle du langage parlé. Le déroulement du temps entre la séquence (en continu) et la vignette (en discontinu) est régi par une logique qui n’est pas la même. À un moment de ma vie, j’ai pensé, plus ou moins subrepticement, que ce serait peut-être mieux de travailler pour le cinéma. Plus glamour, c’est certain (les actrices, toujours). Plus chic, c’est à voir (scénariste, petit métier partout, quand même). Plus libre ? Ah là, non ! Le monde du cinéma, depuis qu’il est tombé sous la coupe de diffuseurs télévisuels et autres marchands d’espace publicitaire, est un monde contraint, surtout pour les scénaristes, censés répondre aux innombrables sollicitations bourdonnant comme des mouches autour d’un film. J’ai néanmoins oeuvré sur toutes sortes de projets sans jamais pour autant les solliciter. Et je n’ai finalement jamais regretté de m’être exprimé à travers la BD où — précisément — j’ai joui d’une liberté véritablement merveilleuse. Mais c’est aussi parce que je n’ai JAMAIS songé à devenir metteur en scène (trop d’ordres à donner ou à recevoir, voir plus bas) que le cinéma, dont je reste un spectateur passionné (voir plus haut) ne m’a pas attiré. Au cinéma, ou bien on est le chef, ou la vedette, ou sinon rien.

 

CEPPI [DANIEL]
L’un des rares bons souvenirs de mon passage aux Humanos. Daniel est un garçon au trait élégant et aux convictions sincères. Et le scénario de La Nuit des clandestins, une parabole sur l’immigration, me semble avoir vu assez loin et assez juste bien avant la situation actuelle. Il pêche peut-être néanmoins par une certaine lourdeur démonstrative, un défaut contre lequel je m’efforce toujours de lutter, mais qui de temps à autres me rejoint.

 

CORBEYRAN
[scÉnariste de BD] J’ai connu Éric à Bordeaux, où il a d’abord travaillé à mes côtés comme directeur artistique pour les publications que je faisais réaliser à mes étudiants en journalisme. Je me suis en quelque sorte revu très jeune, en train d’entrer dans un métier où le passage de témoin, les atomes crochus, l’adoubement chevaleresque, appelons cela comme on veut, joue un rôle important. Il y a eu aussi — et il y a toujours — les parties de ping-pong et autres sports de raquette, sans compter les séances de déconnage qui font que, lorsqu’on est ensemble, le temps passe toujours très vite et nous donne toujours l’envie de nous revoir. Quand je pense que ce grand gamin a déjà plus d’albums que moi à son actif… dont je suspecte que mes favoris ne constituent pas ses plus grands succès de vente, tels Lie de vin, Le fond du monde ou Paroles de taulards. Enfin tu verras, coco, c’est dur de durer.

 

CORRESPONDANCES
C’est à Didier Christman, alors directeur littéraire chez Dargaud, que je dois cette offre d’une collection ouverte à mon nom et me permettant de travailler avec des artistes que j’admire mais qui n’auraient ni le temps ni sans doute l’envie de se lancer dans un album classique avec moi. Offre généreuse car chacun sait, dans la profession, que les formats à l’italienne ne sont généralement pas promis à des succès de vente colossaux. Cette collection me permet d’explorer un genre que j’aime énormément, comme lecteur et comme auteur : celui du livre illustré, dont le mode de fonctionnement est très différent de celui de l’album de BD. D’abord parce que chaque livre est un prototype unique : autant je sais comment sera fait un album de BD avant même de l’avoir commencé, autant la forme d’une « correspondance » est liée à la personnalité du dessinateur, à la technique employée (aquarelle, gouache, acrylique, pastel, etc.), au directeur artistique travaillant sur le projet, à la nature même du sujet… Ensuite parce que je n’écris pas un scénario, mais une sorte de programme iconographique, un peu comme le faisaient les commanditaires pour la grande peinture religieuse, pour la peinture de cour. Il faudra représenter la Vierge, le Roi, l’Enfant-Jésus, le Couronnement, que sais-je… À l’artiste de magnifier la commande par son génie propre. Dans les « Correspondances », le but est nettement plus modeste mais le résultat pas si différent : je n’écris les textes définitifs qu’une fois les illustrations terminées, rejetant ainsi ce que je considère comme dépassé pour notre siècle, à savoir des ouvrages pré-écrits puis illustrés postérieurement (Jules Verne et Hetzel ont tout fait trop bien) ou des œuvres graphiques (voire pire, photographiques) habillées après-coup d’un texte vaguement poético-informatif. Non, les « Correspondances », c’est la recherche d’une alchimie entre ce qui est dit et ce qui est montré, qui ne doit ni doublonner, ni dériver. Est-il utile de préciser que chaque petit livre repose sur un concept exclusivement destiné à celui qui en aura la charge ? Sans la passion de Patrick Lesueur pour les vieilles voitures américaines, pas de Belles Cubaines (premier titre de la collection). Sans acceptation de Jacques Ferrandez pour Chez les Cheikhs, pas de reportage aux Émirats Arabes Unis. Sans amour du vélo pour Max Cabanes, du train pour Jean-Claude Denis, pas de La bonne vie ou de Trains de plaisir. Pour le récit apocryphe des 4 vérités de la V° République, les pastiches de peinture pompier ou réaliste-socialiste, il a fallu que je trouve un jeune illustrateur, Alexis Lemoine, sans lequel le projet n’aurait été qu’une blague potache. Sans Bilal pour soutenir le long travail que j’avais effectué sur et à Tchernobyl, pas de Sarcophage. Personne d’autre que Jean-Claude Mézières ne pouvait bien entendu évoquer notre jeunesse dans l’Ouest pour Adieu rêve américain. Disons pour résumer que les « Correspondances » constituent pour moi une sorte de récréation par rapport aux contraintes assez strictes de la bande dessinée ou aux tunnels assez austères de l’écriture romanesque. J’espère qu’il en va de même pour ceux qui ont accepté de travailler avec moi. J’ai d’ailleurs essuyé peu de refus, mais il vrai que je n’ai pas multiplié les sollicitations puisque mon but, là comme ailleurs, n’est pas de créer un effet de série mais de traiter entre amis de sujets qui m’intéressent à un moment donné. Pour l’instant je suis en attente pour un titre en cours de trois ultimes dessins de Miguelanxo Prado, champion de la livraison au compte-goutte mais dont chaque envoi est un petit délice.